Séminaires & journées d’étude

Journée d’étude organisée par Dominique Juhé-Beaulaton (UMR 7206 Eco-anthroplogie CNRS-MNHN) et Vincent Leblan (UMR 208 PALOC IRD-MNHN)

Présentation 

Les collections des Muséums d’histoire naturelle représentent des sources nouvelles en histoire environnementale comme en histoire des sciences ; elles sont susceptibles d’éclairer des aspects inattendus, ou souvent peu explicites, des pratiques de terrain des scientifiques et de leurs « collaborateurs ». Elles ne sont cependant pas suffisantes en elles-mêmes pour mener cette recherche à bien. Il est en effet nécessaire de contextualiser les indications livrées par les métadonnées accompagnant les objets des collections à partir des écrits (manuscrits, comptes-rendus aux sociétés savantes,…) des scientifiques et de collecteurs plus anonymes. Cette rencontre à visée exploratoire interrogera la diversité des acteurs impliqués dans les collectes d’objets et d’espèces végétales ou animales. Elle donnera à voir comment ces collections et les écrits associés peuvent servir à reconstituer l’élaboration des savoirs naturalistes et leur évolution du XVIIe au XXe siècle.

Programme de la Journée d’étude vendredi 13 novembre 2015

Cette année, la journée est organisée autour de quatre communications, commentées ensuite chacune par un discutant.

- Lancelot Arzel (Historien, Centre d’Histoire de Sciences-Po) : Chasser, récolter, exposer : collections privées d’objets naturalistes au Congo colonial des années 1880 aux années 1910.

Discutante : Patricia Van Schuylenbergh  (Historienne, Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, Belgique)

- Julien Bondaz (Anthropologue, Université Lumière Lyon 2) : « Travailler un peu pour le Museum » : spécimens naturalistes et collectes ethnographiques en Afrique de l’Ouest (1928-1960)

Discutant : Fabrice Grognet (Ethnologue, MNHN)

- Christelle Patin (Anthropologue, IRIS-EHESS) : Comment cultiver l’instant propice ? Le prélèvement des éléments du corps humain pour les collections anthropologiques.

Discutant : Arnaud Esquerre (Sociologue, LESC)

- Roberto Zaugg (Historien, Université de Lausanne) : La science aux marges des champs de bataille. Les pérégrinations d’un médecin militaire napolitain entre le Nil et les Antilles (fin XVIIIe – début XIXe siècle)

Discutante : Agnès Lainé (Historienne, IMAf)

La journée aura lieu au Muséum d’histoire naturelle de Paris

La journée aura lieu au Muséum d’histoire naturelle de Paris

Grand amphithéâtre d’entomologie, 45 rue Buffon

Métro Gare d’Austerlitz ou Jussieu - Bus 89 et 91

Résumés

Lancelot Arzel : Chasser, récolter, exposer : collections privées d’objets naturalistes au Congo colonial des années 1880 aux années 1910. 

Des expéditions militaires de Stanley dans les années 1880 à la grande équipée naturaliste de l’American Museum of Natural History (1909-1915), le Congo colonial a fait l’objet de collectes massives d’objets naturalistes. La présente communication s’intéressera au premier temps de ces collectes, alors que les institutions scientifiques n’ont pas encore le contrôle sur ces captations et se penchera plus spécifiquement sur les premières collections privées constituées par les acteurs de terrain (missionnaires, militaires, voyageurs, scientifiques). Si l’Etat indépendant du Congo (1885-1908) développe au fur et à mesure une politique de collecte à travers son « Musée du Congo », les collections privées de trophées de chasse, de spécimens végétaux et de variétés entomologistes indiquent que ce sont avant tout les acteurs de terrain qui ont été au devant des savoirs naturalistes du Congo. Nous chercherons ainsi à éclairer les manières de chasser, récolter et conserver ces objets sur place en montrant à la fois le bricolage initial et les techniques qui se professionnalisent pour des amateurs éclairés. Puis nous montrerons le cheminement de ces collections privées en métropole : certaines sont exposées dans les intérieurs privés, d’autres font l’objet de transaction et de captation pour des expositions officielles (Anvers, 1894 ; Tervuren, 1898) ou pour enrichir les collections du tout nouveau Musée du Congo. La transformation de ces spécimens en objets – maisons de taxidermie, catalogues et mises en boîte – sera également traitée. Nous montrerons toutefois que ces collections circulent aussi en Europe, parmi les musées coloniaux et les muséums d’histoire naturelle et démontrent l’implication de ces acteurs de terrain dans la définition des savoirs naturalistes de l’Afrique centrale, au-delà des institutions officielles de l’Etat indépendant du Congo. Nous conclurons par une brève analyse de l’expédition de l’American Museum of Natural History de 1909 qui partage des traits communs aux premières récoltes naturalistes du Congo.

Julien Bondaz : « Travailler un peu pour le Muséum » : spécimens naturalistes et collectes ethnographiques en Afrique de l’Ouest (1928-1960)

Début décembre 1931, alors que Marcel Griaule est au Dahomey (Bénin actuel) dans le cadre de la fameuse mission Dakar-Djibouti, Paul Rivet demande à Georges Henri-Rivière de lui rappeler de « travailler un peu pour le Museum » : l’ethnologue ne doit pas oublier qu’il n’est pas seulement chargé de collecter des objets ethnographiques, mais qu’il doit également constituer un herbier, récolter des insectes et capturer ou tuer (à des fins de naturalisation) toutes sortes d’animaux. Ces injonctions sont le point de départ de pratiques de collecte naturaliste qui se multiplient au cours des différentes missions Griaule et qui concernent également de nombreux autres ethnologues africanistes à la fin de la période coloniale. Peu à peu cependant, les fleurs et les papillons, les graines et les embryons, les plantes et les bêtes cessent d’être vus uniquement comme des spécimens naturalistes par ces ethnologues : ils se transforment en objets ethnographiques. On assiste alors, sur le terrain, à la naissance de l’ethnozoologie et de l’ethnobotanique. Cette communication vise ainsi à montrer comment, à la fin de la période coloniale, des relations étroites se tissent entre les ethnologues africanistes et les naturalistes du Muséum national d’histoire naturelle et (après la Seconde guerre mondiale), de l’Institut Français d’Afrique noire. Les interférences entre les pratiques de collecte ethnographique et naturaliste peuvent alors être comprises sous un nouveau jour.

Christelle Patin  : Comment cultiver l’instant propice ? Le prélèvement des éléments du corps humain pour les collections anthropologiques

Flourens, Serres, Quatrefages et Broca l’attestent à de nombreuses reprises : les matériaux humains sont, selon leurs termes, « d’une nature telle » que leur récolte soulève des difficultés particulières propres à ce « genre de collections ». Les collecter procède idéalement d’une conjonction de trois points : la légitimité du récoltant et sa fréquentation des lieux où sont présents les éléments de corps humains, la disponibilité sociale de ceux-ci et leur qualité de support de savoirs. Cependant cette rencontre relève d’une construction sociale et politique complexe qui nécessite bien des arrangements alliant une phénoménologie concrète à celle de la conjoncture opportune. A travers trois configurations, ordinaires et parfois plus exceptionnelles, nous interrogerons ces compositions qui agissent tantôt sur la disponibilité sociale des corps ou les lieux de collecte, tantôt sur la matérialité des éléments récoltés et leur adéquation à la demande des commanditaires. Ainsi, partant d’une situation normale de prélèvements à Paris, nous nous focaliserons sur les récoltes néo-calédoniennes de trois médecins de la marine dans la seconde partie du XIXe siècle, scrutant les diverses modalités de collaboration avec les anthropologues du Muséum et de la Société d’anthropologie de Paris, l’impact des facteurs socio-économiques, politiques et les bricolages matériels. Par ailleurs, comment s’articulent alors la médecine coloniale et la discipline anthropologique ? Enfin, dans des cas plus liminaires, répondre au mieux aux scientifiques commanditaires, dans un cadre de rareté, nécessite parfois de créer de faux matériaux dont la réception reste à analyser.

Roberto Zaugg : La science aux marges des champs de bataille. Les pérégrinations d’un médecin militaire napolitain entre le Nil et les Antilles (fin XVIIIe – début XIXe siècle)

En focalisant sur la trajectoire biographique d’Antonio Savaresi – un médecin militaire napolitain qui servit dans les armées françaises en Italie, Égypte et à la Martinique –, ma communication examinera les guerres de la période révolutionnaire et napoléonienne comme moments-catalyseurs des circulations de savoirs. Dans ce cadre, je discuterai les approches adoptés par les officiers de santé pour faire face aux maladies (peste, ophtalmie, fièvre jaune) qui ravagèrent les troupes européennes au Machreq et aux Indes occidentales et pour connaître – d’un point de vue médical, naturaliste et anthropologique – l’environnement et les sociétés qui les entouraient. Tout particulièrement, j’étudierai la manière dont les médecins coloniaux s’approprièrent et adaptèrent des éléments issus de leurs interactions avec des acteurs colonisés, en les accommodant avec des doctrines scientifiques occidentales.

Archives

Programme des journées d’étude 13 et 14 novembre 2014

Jeudi 13 novembre 2014 matin : 

9h30-10h : Accueil des participants

10h-10h30  : Présentation des journées : Dominique Juhé-Beaulaton et Vincent Leblan

Collections naturalistes, sources d’histoire environnementale

Modérateur : Denis Lamy, UMR 7205, MNHN

10h30-11h15 : Collections d’insectes et histoire de l’environnement : des recherches biohistoriques aux sources de la notion de biopatrimoine : Christian Perrein (Atlas entomologique régional, Nantes), François Dusoulier (Muséum d’histoire naturelle de Toulon et du Var) & Jean-Alain Guilloton (Atlas entomologique régional, Nantes)

11h15-12h : Les collections botaniques d’Eugène Poilane et son application dans l’étude de la flore des mangroves du Viêtnam : Ariadna Burgos (UMR 7206 CNRS-MNHN), Benoît Carre (Unité de gestion Botanique, UMR 7205 CNRS-MNHN)

Repas

Après midi : Politiques muséales, réseaux et collections

Modérateur : Maxime Michaud

13h30-14h15 : Les spécimens d’histoire naturelle, des artefacts témoins de savoir-faire naturalistes : Amandine Péquignot (UMR 208 PALOC IRD-MNHN)

14h15-15h : Les collections des expéditions naturalistes à la fin du XIXe siècle : une histoire communicationnelle à explorer : Fabienne Galangau Quérat (UMR 208 PALOC IRD-MNHN)

Pause café

15h30-16h15  : De la collecte à la valorisation : les collections zoologiques du Musée du Congo belge (1898-1930) : Patricia Van Schuylenbergh (Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, Belgique)

16h15-17h : Genèse et évolution des collections de préhistoire au MNHN durant la première moitié du XXe siècle : Jacqueline Léopold (Département de Préhistoire Musée de l’Homme, Paris)

17h - 17h30  : Discussion

Vendredi 14 novembre 2014 matin : Terrains de collecte 

Modérateur  : Santiago Aragon

9h-9h45  : Le commerce des spécimens, un aspect peu exploré des processus et usages des collectes : Agnès Lainé (Institut des mondes africains (UMR CNRS 8171 ; IRD 243)

9h45-10h30 : Les battues aux chimpanzés du pouvoir colonial. A propos de l’Institut Pasteur de Kindia, Guinée française, 1920-1960 : Vincent Leblan (UMR 208 PALOC IRD-MNHN)

Pause café

11h-11h45  : Safari et collectes naturalistes : l’animal de musée comme trophée : Maxime Michaud (UMR7324 CITERES – Université de Tours)

11h45-12h30 : La collection de bustes anthropologiques du Muséum national d’Histoire naturelle : histoire et enjeux : Romain Duda (Université Autonome de Barcelone, UAB)

Repas

Vendredi 14 novembre 2014 après-midi : Terrains de collecte

Modératrice : Patricia Van Schuylenbergh

14h-14h45 : L’étude des productions naturelles des territoires espagnols en Afrique : Santiago Aragon (Université Pierre et Marie Curie)

14h45-15h30 : Victor Planchat, cheminot naturaliste au Sénégal à la fin du XIXe siècle : apport de ses collections à l’histoire coloniale, l’ornithologie et la linguistique au Sénégal : Ludovic Besson (Muséum d’histoire naturelle de Bourges)

Pause café

16h-16h45 : Les collections de plantes médicinales du Musée du Quai Branly et l’histoire de l’ethnographie ethnobotanique : Carole Brousse (IDEMEC, Aix-Marseille)

16h45-17h30 : Le fruit miracle (Synsepalum dulcificum) : des voyageurs sur la côte ouest africaine aux laboratoires pharmaceutiques (XVIIe-XXIe siècles) : Dominique Juhé-Beaulaton (UMR 7206 CNRS-MNHN)

17h30 : Discussion générale

Les journées ont eu lieu au Muséum d’histoire naturelle de Paris Salle de la Bibliothèque de Chimie, 63 rue Buffon

RESUMES (PAR ORDRE ALPHABETIQUE)

Aragon Santiago* : L’étude des productions naturelles des territoires espagnols en Afrique

Ancienne puissance coloniale, l’Espagne expérimente un regain d’intérêt colonial à partir de 1860. Outre Cuba et Porto Rico, entre 1861 et 1865 la République Dominicaine réintègre le pays. En 1862 une expédition est envoyée vers le Pacifique afin de renforcer la présence espagnole sur les archipels des Philippines, des Mariannes, des Carolines et Palau. Parallèlement, l’Espagne augmente son influence en Afrique. La Guerra de Africa (1859-1860) assure le contrôle espagnol de la moitié nord du Maroc. Plus tard, à partir de 1875, elle incorpore des territoires dans le Golfe de Guinée et dans le Sahara occidental. En ce qui concerne l’étude de la nature, les apports faits par l’Espagne ont été majoritairement analysés dans un contexte américain. Cependant, un siècle durant, plus de deux cents naturalistes et voyageurs ont sillonné les paysages africains à la recherche de productions naturelles que, pour la plupart, ont fini par intégrer les collections des muséums et jardins botaniques à Madrid et Barcelone.

* Université Pierre et Marie Curie

Besson Ludovic* : Victor Planchat, cheminot naturaliste au Sénégal à la fin du XIXe siècle : apport de ses collections à l’histoire coloniale, l’ornithologie et la linguistique

Une petite collection d’oiseaux, collectée à la fin du XIXe siècle au Sénégal, a été rassemblée et analysée. L’exploitation des étiquettes de collecte, présentant de nombreuses informations, tant biogéographiques que linguistiques, a permis d’identifier le collecteur puis de cerner sa biographie. Le contexte de collecte ainsi dégagé et le recoupement de ces éléments avec des sources documentaires aussi différentes que la littérature scientifique, des archives industrielles et des cartes postales anciennes ont permis de fournir de nombreuses informations qui vont bien au-delà de simples données naturalistes. Pour le biologiste, cette collection d’oiseaux est un marqueur écologique de l’histoire de l’avifaune sénégalaise car constituée au début d’une période de sécheresse. Pour l’historien, elle atteste des nombreux échanges entre naturalistes et témoigne des rapports étroits qui existaient entre différentes catégories d’acteurs (« colons/indigènes ») dans le Sénégal colonial. Pour le linguiste, les termes indiqués en ajami précisent l’usage profane de cet alphabet.

*Muséum Gabriel Foucher - Muséum d’histoire naturelle de la ville de Bourges

Brousse Carole *Les collections de plantes médicinales du Musée du Quai Branly et l’histoire de l’ethnographie ethnobotanique

Les musées ethnographiques abritent et alimentent la recherche en ethnobotanique en accueillant des collections relatives aux plantes et aux usages/savoirs/représentations qui leur sont associées. Cette communication propose une analyse des collections ethnobotaniques et plus spécifiquement ethnomédicinales du Musée du Quai Branly. 180 échantillons de plantes médicinales sont conservés par l’institution. Ces plantes, répertoriées comme des « objets », seront le socle d’un travail de documentation scientifique sur l’histoire des expéditions ethnographiques et sur la place accordée aux plantes médicinales dans ces terrains. Pourquoi ont-elles été prélevées et ensachées comme des échantillons et non préparées et protégées dans des herbiers ? Ces collectes ont-elles fait sur place l’objet d’enquêtes ethnobotaniques destinées à comprendre les usages, savoirs et représentations associés aux végétaux ? Quels informateurs ont permis au voyageur puis à l’ethnologue de collecter ces plantes ? Quels travaux ethnologiques ont pris appui sur ces collectes ?

*IDEMEC (Aix-Marseille Université)

Burgos Ariadna *, Carre Benoît Les collections botaniques d’Eugène Poilane et son application dans l’étude de la flore des mangroves du Viêtnam **

E. Poilane (1888-1964) est né en France. Fils d’humbles paysans, il est envoyé en Indochine, en 1909. C’est au jardin botanique de Saïgon, en 1919, qu’il rencontre Auguste Chevalier qui l’affecte à l’institut botanique de Saïgon, puis le nomme attaché du Muséum en 1922. Au cours des 30 années qui vont suivre il va parcourir l’Indochine jusque dans ses régions les plus inhospitalières, offrant au monde scientifique des collections uniques d’histoire naturelle (plus de 50 000 échantillons d’herbier). Partant de longs mois en brousse, Poilane s’attachait à rechercher les plantes utiles, les bois, les arbres fruitiers spontanés, les minéraux et les animaux, faisant de ses collections une source d’informations précieuses concernant la végétation et l’écologie de l’Asie du Sud-Est. Dans les mangroves du Sud du Vietnam, Poilane collecte de nombreux spécimens botaniques. Les étiquettes de ses échantillons et ses carnets de voyage, au contenu particulièrement détaillé, dressent un état des lieux rigoureux des caractéristiques physiques de la forêt de mangrove de l’époque, de sa diversité spécifique, et des usages qui étaient faits des différentes espèces de palétuviers. Cela nous a permis de poser un regard rétrospectif et comparatif de la diversité floristique et des usages des mangroves avant et après la guerre du Vietnam.

* UMR 7206 Eco-anthropologie et ethnobiologie, MNHN-CNRS

** Xylothèque LaBex BCDiv (UMR 7209) & Unité de gestion Botanique (UMR 7205) MNHN

Duda Romain* : La collection de bustes anthropologiques du Muséum national d’Histoire naturelle : histoire et enjeux

La collection de bustes anthropologiques du MNHN révèle un épisode méconnu de l’histoire des sciences : la représentation des « types » humains par le procédé de moulage sur vivant. Constituée entre 1833 et 1894, elle se compose de plus de cinq cent pièces issues de missions scientifiques et de grandes expéditions. Ces voyages dévoilent une humanité à la fois méconnue, complexe et plurielle que les premiers anthropologues vont chercher à étudier et montrer au sein des premières galeries d’anthropologie. Avant l’apparition de la photographie, l’usage du moulage marque ainsi cette volonté de matérialiser la variabilité morphologique du genre humain. Le travail présenté ici est basé sur des recherches en archives, lesquels ont permis de reconstituer l’histoire des objets et les contextes de collecte. Les manuscrits ont permis de découvrir des éléments inattendus sur la biographie des individus moulés, l’histoire des populations, et notamment les relations entretenues avec le savant, l’explorateur ou le mouleur. Ces éléments permettent de donner vie à des objets longtemps restés inanimés. Au-delà de constituer un objet unique pour l’histoire des sciences, cette collection cristallise un certain regard porté sur l’Autre et la différence, et en dépit de l’évolution des perspectives scientifiques et muséales démontrent aux scientifiques et au public des musées l’ambition inchangée de l’Homme pour la compréhension de la diversité.

* Université Autonome de Barcelone (UAB)

Juhé-Beaulaton Dominique : Le fruit miracle (Synsepalum dulcificum) : des voyageurs sur la côte ouest africaine aux laboratoires pharmaceutiques

Au XVIIe siècle, sur la côte occidentale de l’Afrique, certains voyageurs ont remarqué et décrit le fruit d’un arbuste présentant la propriété particulière d’adoucir ce qui est acide ou amer, ce qui a permis de l’identifier facilement au Synsepalum dulcificum, une Sapotacée endémique de la région forestière de l’Afrique de l’ouest. Ce fruit a pu intervenir dans l’alimentation des esclaves en permettant de consommer l’eau de mauvaise qualité ou les agrumes acides luttant contre le scorbut. Mais ce n’est qu’au XIXe siècle que ce fruit miracle arrive dans les herbiers européens et il faudra attendre encore les années 1960 pour que les recherches pharmaceutiques s’y intéressent de près : en effet, les études ont montré que son principe actif, la miraculine, peut aider au traitement de plusieurs maladies comme le diabète, l’obésité et plus récemment certains cancers. Le Synsepalum dulcificum est maintenant cultivé en dehors d’Afrique, en Asie et en Amérique. Paradoxalement, sur la côte du golfe de Guinée, anciennement Côte des Esclaves où il était très présent particulièrement à proximité des habitations, il semble plus rare et moins utilisé dans l’alimentation alors que la consommation du sucre a beaucoup augmenté. Les travaux de botanistes ont montré que c’est une espèce devenue rare dans les îlots forestiers du sud Togo. Les échantillons d’herbiers conservés au MNHN, dont ceux d’Auguste Chevalier qui a parcouru lors de ses missions d’exploration l’Afrique occidentale et centrale, permettent de dessiner la distribution géographique de cette espèce au tout début du XXe siècle qui pourra être comparée à sa distribution actuelle. Retracer le cheminement de cette plante depuis la côte africaine jusqu’aux laboratoires pharmaceutiques permet de renseigner à la fois l’histoire des sciences, de l’environnement, de la santé mais aussi celle des hommes, depuis l’arrivée des Européens dans cette partie du monde jusqu’à la colonisation.

* UMR 7206 Eco-anthropologie et ethnobiologie, MNHN-CNRS

Lainé Agnès : Le commerce des spécimens, un aspect peu exploré des processus et usages des collectes (fin XVIIIe – XIXe siècles)

Le commerce constitue, avec le prélèvement direct sur l’environnement, une modalité incontournable de l’enrichissement d’une collection d’histoire naturelle. Or si l’acquisition de spécimens a souvent été étudiée par les chercheurs en lien avec le développement des sciences et des voyages d’exploration, les aspects commerciaux des collectes et des collections sont encore peu documentés. Nous tenterons d’abord d’appréhender l’évolution des commerces d’objets d’histoire naturelle installés en ville à partir de la fin du XVIIIe siècle, grâce aux almanachs du commerce parisien qui permettent d’interroger les relations entre culture savante et marchande. Puis nous suivrons cette piste d’analyse à partir d’un exemple : les relations entre Alfred Marche, explorateur et collecteur, et Aimé Bouvier, marchand mais aussi fondateur de la Société zoologique de France. Les sources (récits de voyage, bulletins de sociétés savantes, catalogues, …), permettent de repérer des complémentarités, des alliances et des concurrences entre activités savantes et marchandes et entre leurs agents historiques dans le contexte des transformations économiques et politiques du XIXe siècle.

* UMR 8171 – IMAf-Université Paris 1/243 IRD

Leblan Vincent : Les battues aux chimpanzés du pouvoir colonial : du Muséum de Paris à l’Institut Pasteur de Kindia, Guinée française, 1920-1930

Plus marginaux que les végétaux dans l’élaboration des savoirs taxonomiques, subsidiaires dans les projets et pratiques de collecte des naturalistes en situation coloniale, les animaux restent peu visibles en histoire des sciences. Cette communication s’intéresse aux spécimens de chimpanzés recherchés par le Muséum National d’Histoire Naturelle à l’époque de la mise en place des premiers modèles simiens dans la recherche sur les maladies infectieuses au sein de l’empire colonial français. Un corpus constitué d’articles de presse, de correspondances entre l’administration coloniale et les muséums avec des chasseurs français et d’un récit de tourisme cynégétique éclaire quelques aspects de l’économie tout à la fois morale et financière de la politique de capture de primates qui se met en place sous la houlette de l’Institut Pasteur de Guinée française au cours des années 1920. Cette documentation permet de préciser le rôle et les usages de spécimens d’animaux ordinaires dans la rencontre des acteurs de la science coloniale avec l’Autre : alors que les spécimens de chimpanzés conservés dans les collections du Muséum sont conçus comme un chaînon manquant entre l’Homme et l’animal, la manipulation des mêmes spécimens à l’état vivant sur le terrain de la collecte fait apparaître le chimpanzé comme une figure liminale permettant aux colons de jauger et de qualifier la distance entre les catégories de « blanc » et d’« indigène ».

* UMR 208 Paloc (IRD/MNHN)

Léopold Jacqueline* : Genèse et évolution des collections de préhistoire au MNHN durant la première moitié du XXe siècle

Dès sa nomination en 1928, le Professeur Paul Rivet, directeur du laboratoire d’Anthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et du musée d’Ethnographie du Trocadéro (MET), demande le rattachement de ce dernier au premier, ce qui permet de s’appuyer sur l’autorité de ce grand établissement scientifique et de profiter accessoirement de ses subventions étatiques afin d’assurer une viabilité dans le temps. Succédant au musée d’Ethnographie et construit sur ses fondations, le musée de l’Homme (MH) sera inauguré en 1938. Dès les années 1930, le musée d’Ethnographie du Trocadéro désormais rattaché au Muséum devient tout à la fois un lieu de conservation de collections, un centre de recherche avec des laboratoires et des sociétés savantes, un espace de documentation avec une bibliothèque et une photothèque ainsi qu’un site d’exposition et d’enseignement avec l’Institut d’Ethnologie. A la même époque, Rivet développe au Muséum une science de synthèse dénommée Ethnologie laquelle comporte entre autres la Préhistoire. Pour la première fois, cette dernière est considérée comme une discipline autonome au Muséum. Jusque dans les années 1930, les missions pourvoyeuses de collections de préhistoire sont exclusivement le fruit d’initiatives personnelles émanant d’érudits coloniaux qui sont des militaires ou des administrateurs coloniaux tel que Fernand Foureau ou le lieutenant Louis Desplagnes. La création de l’Institut d’ethnologie en 1928 entraîne une professionnalisation de la discipline : les érudits coloniaux cèdent le pas à celui des missionnés patronnés par l’institut d’Ethnologie. Mais en raison de la faiblesse numérique de ces derniers et en l’absence de ressources financières suffisantes permettant d’envoyer des missionnés sur le terrain, le musée continue d’accepter les séries préhistoriques collectées par les érudits coloniaux, dont Georges Waterlot. Néanmoins, suite à la normalisation des techniques de fouilles dans les années 1930, on constate que progressivement la recherche ne se fait plus au musée mais de plus en plus sur le terrain où les fouilles constituent le préalable nécessaire à l’obtention d’artefacts préhistoriques en contexte stratigraphique. L’étude des collections complètent les observations faites sur le terrain. Henri Lhote constitue un des exemples. En guise de conclusion, nous évaluerons l’apport des collections de préhistoire aux recherches effectuées au sein du musée, leur rôle dans les galeries publiques et la place occupée par la Préhistoire au sein du musée durant la première moitié du XXe siècle.

* Département de Préhistoire Musée de l’Homme, Paris

Michaud Maxime* : Safari et collectes naturalistes : l’animal de musée comme trophée

L’émergence du « safari » à la fin du XIXe siècle est contemporaine du développement des collectes d’animaux destinés aux dioramas des muséums sur le continent africain. Simple coïncidence ? Nullement, puisque ce sont justement les muséums qui vont financer les premières expéditions de chasse, notamment celle de Théodore Roosevelt dont le récit (African Game Trails) va populariser l’utilisation du terme safari. Les animaux présentés dans les muséums sont ainsi souvent également des trophées, incarnant un imaginaire de la sauvagerie et de sa conquête et témoignant du lien souvent méconnu, si ce n’est caché, entre conservationnisme et chasse. C’est ce lien que cette communication souhaite explorer, en s’appuyant sur une anthropologie historique et symbolique des pratiques de chasse des Occidentaux en Afrique du XIXe siècle à nos jours. Il s’agira principalement de montrer, à partir d’exemples précis (lions du Tsavo au Field Museum, Expédition de Roosevelt avec le National Museum of Natural History, etc.) l’ambiguïté de l’imaginaire du sauvage associé à la faune africaine que l’on retrouve de nos jours aussi bien dans les discours écologistes que cynégétiques.

* Laboratoire CITERES, UMR7324 – Université de Tours.

Péquignot Amandine* : Les spécimens d’histoire naturelle, des artefacts témoins de savoir-faire naturalistes.

Les spécimens d’histoire naturelle sont considérés en premier lieu comme les dépositaires d’informations scientifiques. Or, trop rarement ils sont perçus comme des artefacts témoins de pratiques naturalistes anciennes et contemporaines, en ce sens que la préparation-réalisation mise en œuvre pour passer du vivant à un spécimen de collection, résulte de savoir-faire naturalistes particuliers ( taxidermie, préparation en fluide, mise en herbier, etc.) évoluant au cours des siècles, empreints à des voies de transmission particulières, des représentations de la Nature souvent liées aux connaissances scientifiques changeantes et liés à des hommes, qu’ils soient voyageurs-naturalistes, préparateurs, apothicaires, scientifiques ou artistes, dépositaires de ce savoir. A travers des exemples très divers, nous montrerons en quoi l’objet d’histoire naturelle est donc une mémoire matérialisée de l’évolution de ces savoir-faire, que nous considérons comme des sources premières complémentaires aux connaissances acquises par les écrits souvent lacunaires, et la méthodologie que nous avons employés pour les révéler. Cette position amène à repenser d’une part la mémoire de ces savoir-faire naturalistes qu’ils soient locaux ou traditionnels, et d’autre part à questionner leur pérennité quand ces derniers ne sont peut-être plus pertinents, de nos jours, pour la conservation du patrimoine, voire paradoxalement la source de sa dégradation.

* UMR 208 Paloc (IRD/MNHN)

Perrein Christian*, Dusoulier François** & Guilloton Jean-Alain* : Collections d’insectes et histoire de l’environnement : des recherches biohistoriques aux sources de la notion de biopatrimoine

Les biens culturels produits par les naturalistes sont assez peu étudiés en France, surtout ceux concernant le territoire métropolitain. Ces matériaux essentiellement ethno-biologiques constituent pourtant les archives de la biodiversité nationale, corpus pour une histoire de l’environnement et fruit d’une véritable culture naturaliste. Un projet de Biohistoire des papillons (lépidoptères rhopalocères) mené durant vingt ans en Loire-Atlantique et en Vendée a rassemblé quelque 84 000 témoignages d’espèces entre 1734 et 2005, dont près du tiers avant 1990. Cette richesse documentaire a permis de quantifier l’érosion de la diversité de ce groupe taxinomique et de prouver l’accélération de l’érosion à cette échelle spatio-temporelle, préalablement à l’étiologie analysée et discutée du phénomène. Les collections publiques et privées d’insectes sont un patrimoine scientifique et culturel pour la conservation duquel la responsabilité des institutions muséologiques est très importante. Plus largement, cette communication invitera à comprendre le biopatrimoine comme une construction sociale, à l’interface d’une connaissance naturaliste et d’une communauté d’habitants, à édifier à toutes les échelles géopolitiques.

* Atlas entomologique régional (Nantes) ** Muséum d’histoire naturelle de Toulon et du Var

Van Schuylenbergh Patricia* : De la collecte à la valorisation : les collections zoologiques du Musée du Congo belge (1898-1930)  Le Musée royal de l’Afrique centrale dénombre actuellement près de 17 millions de spécimens zoologiques en grande partie collectés en RD Congo, au Rwanda et au Burundi durant l’occupation coloniale belge. La présente communication se penchera sur le parcours de ces collections entre 1898, année de création de l’institution « Musée du Congo » qui préserve, classe et étudie les premiers apports congolais dans un lieu définitif et 1930, décennie au terme de laquelle le rayonnement scientifique de celui-ci est atteint et se concrétise notamment dans l’exposition permanente. Cette période primordiale se marque, en effet, par la volonté d’accroître et de diversifier les collections zoologiques de manière prioritaire. Elle définira en particulier les modalités qui accompagnent le vaste programme de prospections et de prélèvements organisé sur le terrain depuis la métropole et soulignera l’impulsion fondamentale de certains scientifiques de l’institution dans la mise sur pied d’un solide réseau de collecteurs belges, congolais et internationaux qui nourrissent cet élan. Elle démontrera enfin la manière dont ces collections participent au rayonnement scientifique de l’institution, devenue, à travers elles, non seulement le principal dépositaire national d’un savoir colonial global mais aussi, un centre unique en son genre qui ambitionne de se hisser au rang des institutions d’histoire naturelle les plus réputées en Europe. *Musée royal de l’Afrique centrale (Tervuren), Université catholique de Louvain (UCL), Centre d’étude d’histoire de l’Europe contemporaine (CéHEC).

par  Juhé-Beaulaton Dominique - publié le 12 novembre 2014, mis à jour le 8 octobre 2015 à 17h12min

Publié le : 21/08/2018 16:56 - Mis à jour le : 22/08/2018 14:03